Dans l’Ain, les accidents mortels se succèdent sur une petite portion en ligne droite de la départementale 1075. Des ondes électromagnétiques pourraient être à l’origine de micro-absences chez les automobilistes.
On la surnomme la « départementale de la mort ». Longue de 325 kilomètres, la RD 1075, qui relie Bourg-en-Bresse à Sisteron, fend la verte campagne de l’Ain. En dix ans à peine, elle a conduit à la mort une cinquantaine de personnes. Le plus étrange ? Vingt-trois de ces victimes sont mortes sur une minuscule portion de bitume n’excédant pas 300 mètres, située autour de la borne kilométrique n° 12, le long de la commune rurale de Saint-Martin-du-Mont. Sans compter les nombreux blessés et les accidents matériels. Un véritable mystère puisqu’il s’agit là d’une ligne droite, bordée d’arbres et de champs. Une ligne droite tout ce qu’il y a de plus ordinaire.
Un village divisé
« Pourquoi là ? Pourquoi toujours à cet endroit ? Ça interpelle, c’est sûr. On en parle entre nous, souvent sous forme de boutade ! Mais, au fond, on sent bien qu’il y a quelque chose de bizarre… » confie Rambert, retraité, sur le pas de sa maison, où il est né il y a soixante-cinq ans. Juste en face, de l’autre côté de la rue, vit son frère Marcel, 63 ans. Lui a l’esprit plus cartésien. « Etrange, étrange, pas vraiment ! C’est de la faute à la vitesse et à l’inconscience des gens ! Et quand quelqu’un perd le contrôle de sa voiture, il s’enroule autour de ces fichus arbres plantés tout du long ! »
Et c’est partout ainsi lorsque l’on frappe aux portes des belles maisons dans les cinq hameaux de Saint-Martin-du-Mont. Il y a les partisans de la théorie de l’imprudence des automobilistes, pour qui cette route ne présente aucun mystère. Et puis il y a les autres, ceux qui s’interrogent. Pas vraiment des farfelus qui évoqueraient de sombres histoires de dame blanche (1) comme on l’entend à propos de routes dites hantées. Plutôt des gens perplexes face à un tel taux de mortalité sur une portion si réduite de la départementale.
Mauvaises ondes
A la tête de ceux-là, un homme, Laurent Paucod, maire apolitique de Saint-Martin-du-Mont depuis 2001. Lunettes sur le nez, moustache fournie et grisonnante, l’homme qui nous reçoit dans son bureau est las, très las. « A chaque fois que les gendarmes m’appellent pour un accident de la route, je sais d’avance où ça s’est passé », soupire-t-il. A bout, l’homme, qui collectionne méticuleusement toutes les coupures de presse relatant ces drames étranges, a eu une idée l’an dernier : et si le pipeline, qui transporte du pétrole brut et qui passe précisément sous la RD 1075 au niveau du kilomètre 12, y était pour quelque chose ? « Il se peut que ces canalisations émettent des ondes électromagnétiques souterraines. Or des travaux du Pr Yves Rocard, physicien et père de Michel Rocard, ont mis en évidence l’influence du magnétisme terrestre sur le corps humain. Alors oui, je m’interroge : est-ce que ces ondes ne seraient pas à l’origine des micro-absences que disent avoir vécues certains automobilistes à cet endroit précis ? »
« J’ai eu un trou noir »
Car effectivement, à ce jour, plus de la moitié des accidents n’ont pas été expliqués, selon le maire. C’est le cas du dernier en date, survenu le 1er août. Geneviève et Daniel, âgés de 58 et 60 ans, circulaient à bicyclette en file indienne sur le bas-côté de la départementale. Olivier (2), 31 ans, était, lui, en voiture, derrière eux. Un conducteur sans histoire. Il se souvient de les avoir aperçus au loin devant lui. Et puis le trou noir, jusqu’à la mortelle collision avec les cyclistes, quelques secondes après. Les tests l’ont montré, il n’avait pas bu, n’avait pas pris de stupéfiants. Il n’était pas au téléphone. Il rentrait simplement chez lui rejoindre sa femme pour déjeuner.
Au même endroit, il y a aussi eu l’histoire d’Isabelle et de son fils Matthias, 4 ans, qui est encore dans toutes les mémoires. En cet été 2008, cette jeune femme de 35 ans rentre de la piscine avec ses trois enfants. Devant elle, une femme se déporte légèrement sur la gauche, sans aucune raison. Elle percute un convoi qui vient en face… Elle s’en sort indemne. Derrière elle, Isabelle et Matthias n’auront pas cette chance. A ce jour, la coupable ne s’explique toujours pas pourquoi elle s’est déportée. Une absence, probablement. Et puis ce couple qui, en mars 2006, présente « un défaut de maîtrise en ligne droite et percute un platane ». Ou encore cette conductrice qui, en mars 2005, perd « sans aucune raison le contrôle de son véhicule, à hauteur de Saint-Martin-du-Mont, alors que les conditions de circulation étaient très favorables », relatent les brèves publiées à l’époque dans les journaux locaux.
« Et la liste est encore longue, lâche le maire, la gorge serrée. Pourquoi, pourquoi, pourquoi cet endroit… La question me hante. Ce n’est pas l’éblouissement, car les accidents ont aussi lieu de nuit. Ce n’est pas l’alcool. Ce ne sont pas des virages. Ce n’est pas la vitesse. Alors quoi ? Je ne veux plus avoir à annoncer à des familles qu’elles ont perdu un père, une mère, un enfant, pour une raison inexplicable. » Remuant ciel et terre, l’édile a fini par convaincre, voilà quelques jours, le conseil général de l’Ain de mener des expertises. « Nous ne rejetons pas a priori la théorie du maire, mais on ne peut pas encore dire que c’est la faute des ondes. Seul l’expert que nous avons mandaté nous le dira », confie Daniel Benassy, vice-président du conseil général. Cette grande avancée n’empêche pas les railleries dans la commune.
Certains ne s’en cachent pas. « “Tu délires, mon pauvre Laurent !” me lance-t-on parfois dans la rue », sourit le maire. D’autres le font sous couvert de l’anonymat, comme cet habitant croisé assis au soleil sur un banc, béret vissé sur la tête. « Il est fada, le maire, il est tombé sur la tête… Bientôt, il va nous voir des extraterrestres dans son jardin ! Mais lui dites pas que j’ai dit ça, ça pourrait me causer des problèmes… »
(1) Il existe plusieurs versions des apparitions de la dame blanche, la plus connue étant celle de l’automobiliste. On dit que la dame blanche est une auto-stoppeuse. Si vous la prenez, elle vous prévient des dangers de la route avant de disparaître. En revanche, si vous la laissez sur le bord de la route, vous provoquerez un accident fatal…
(2) Le prénom a été modifié.
Par De notre envoyée spéciale dans l’Ain, Alexandra Gonzalez
source